Philibert Antoine Doret, du Creusot à Paris – chapitre 1

Penchons-nous aujourd’hui sur le récit de vie de mon ancêtre Philibert Antoine Doret, mon AAA grand-père. Ce premier chapitre retrace son enfance.

Une petite-enfance au Creusot

Philibert Antoine Doret naît le 19 avril 1861 à une heure du matin dans la maison de ses parents située rue Sainte-Barbe au Creusot, en Saône-et-Loire. 

Quartier du Guide au Creusot – Plan cadastral 1883

Sa naissance est déclarée dès huit heures par son père accompagné de deux témoins, probablement des voisins. La rue Sainte-Barbe se situe dans le quartier du Guide, qui forme une boucle proche de la gare, des aciéries du Creusot et de diverses usines. Ce quartier naît lors de la révolution industrielle et s’urbanise à partir de 1853. Il est donc tout récent au moment de la naissance de Philibert. À ce moment là, ses parents, François Doret et Françoise Degueurse, sont mariés depuis 5 ans et ont déjà eu deux enfant, le premier étant décédé en bas-âge. François a 33 ans et est employé, probablement dans l’une des nombreuses usines que compte la ville, et Françoise, âgée de 22 ans, n’exerce aucune profession.

Nous retrouvons Philibert Antoine âgé de trois jours dans le recensement de population de 1861. Chose curieuse, l’adresse de ses parents a changée. Quelques jours plus tôt, lors de sa naissance, la famille habite dans la maison Marlot de la rue Sainte-Barbe. Sur le recensement, ils sont indiqués comme résidant rue du petit-guide. Ce quartier étant très récent, peut-être que le nom des rues n’est pas encore fixe, où que les gens se trompent de nom dans les actes ? Le bébé vit avec ses parents et son grand-frère Léon âgé de 4 ans. 

Recensement du Creusot – 1861

Nous retrouvons la trace de la famille Doret un an plus tard, le 30 avril 1862. C’est à cette date que décède Léon, 6 ans, le grand-frère de Philibert. C’est le deuxième enfant que perd le couple, leur premier né étant décédé moins d’un mois après sa naissance en 1859. L’acte de décès de Léon nous apprend que François Doret est alors âgé de 36 ans et qu’il est sous-chef de gare au chemin de fer du Creusot. La famille vit toujourss rue Sainte-Barbe, dans la maison Veuve Marlot. Ces informations tendent à nous faire penser que lors du recensement de 1861, la rue du petit-guide est en réalité la rue Sainte-Barbe, car il serait étonnant que la famille ai déménagé deux fois en un an, pour revenir au final dans la première maison qu’elle avait quitté quelques jours après la naissance de Philibert.

En mars 1863, la famille apparaît de nouveau dans les archives, pour la naissance d’un enfant. Jeanne Alexandrine Doret est le quatrième enfant du couple, et la première fille. Ce sont son père et deux témoins qui vont déclarer sa naissance le 1er avril 1863, le lendemain de sa naissance. À ce moment-là, François Doret a 36 ans et est employé tandis que Françoise Degueurse, 24 ans, est toujours sans profession. Le couple et leurs enfants demeurent aux Équipages, dans la rue de la Fonderie, au Creusot. Cette rue se situe près des ateliers de constructions et non loin du château de la Verrerie. La famille a donc changé de quartier pour se rapprocher des usines. Nous remarquons également que François Doret est de nouveau « employé » et non plus «sous-chef de gare». Six mois plus tard, Jeanne décède ; le  fléau des décès en bas âge continue pour la famille Doret qui perd son troisième enfant, sur quatre. 

Acte de décès de Jeanne Alexandrine Doret, soeur de Philibert – 1863

Direction Paris !

Entre octobre 1863 et décembre 1870, la famille Doret vit un grand bouleversement ! Ils migrent du Creusot vers Paris, situé à plus de 300km de là. Le voyage se fait probablement en train. Un premier train relie le Creusot à Chagny, gare placée sur la ligne Paris-Marseille. Ce sont 150 trains de voyageurs et de marchandises qui empruntent chaque jour cette ligne. Mais pourquoi quittent-ils le Creusot ? Surement à la recherche d’une vie meilleure. En effet, depuis les années 1830 et l’installation de la famille Schneider au Creusot, la ville s’est petit-à-petit transformée, passant d’un village bourguignon à une importante cité industrielle. Mais l’industrie, si elle apporte de l’emploi, n’est pas synonyme de bonne qualité de vie. En effet, les immenses cheminées qui dominent la ville crachent continuellement d’importants nuages de fumée, le bruit des hommes et des machines ne cesse jamais, la ville devient une usine à ciel ouvert, probablement très polluée par le charbon. 

Le Creusot

Peut-être est-ce la pollution qui entraîne la mort des enfants du couple? Quoi qu’il en soit, il faut quitter le Creusot, dans l’espoir d’une vie meilleure et quoi de mieux que Paris, la capitale, qui offre aussi de nombreux emplois ? 

À leur arrivée, la famille s’installe au 41 rue Beaubourg dans le troisième arrondissement de la capitale. Cette rue, située en plein cœur de Paris, proche des halles, est aujourd’hui connue pour accueillir le célèbre centre Pompidou. 

Paris, rue Beaubourg

Mais dans les années 1860, la ville est en pleine transformation, le baron Haussmann la remodelant entièrement. La vieille ville insalubre faite de maisons en bois et de ruelles étroites devient la ville que nous connaissons aujourd’hui, faite de grandes avenues et de bâtiments en pierre. Là-bas, le père de Philibert se fait embaucher comme doreur sur métaux grâce à son expérience acquise dans les célèbres usines du Creusot. Le niveau de vie de la famille s’améliore mais Paris sera frappée par de durs événements en 1870.

La guerre et la Commune de Paris

En effet, la France est en guerre contre l’Allemagne et Paris est encerclée par les troupes allemandes le 17 septembre 1870. Depuis quelques mois la tension monte dans la ville et les anciennes fortifications de Paris sont alors remises en service dans l’urgence. Mais la défense est trop faible et Paris capitule. Elle est assiégée et les communications avec la province sont coupées. À ce moment là, Françoise, la mère de Philibert, est enceinte de plusieurs mois. La vie est difficile et les batailles se succèdent. Le rationnement de la nourriture est rapidement mis en place, notamment celui de la viande, alors consommée quotidiennement. Les prix flambent et les produits se font rares. Les parisiens meurent de faim, si bien que les bourgeois abattent leurs chevaux et que les animaux exotiques du jardin des Plantes sont sacrifiés. On mangera de tout: du cheval, du rat, du chien, de l’antilope, du chameau, du kangourou et de l’éléphant. À cela s’ajoute un rude hiver, les températures passant sous les -10 degrés en décembre. C’est au cours de ce mois que Françoise accouche, le jour de Noël. Le petit garçon sera nommé comme la fête du jour de sa naissance: Noël Gustave Emile Doret. 

Acte de naissance de Noël Gustave Emile Doret – 1871

Mais la rudesse de cette triste période lui sera fatale et il meurt chez ses parents le 19 janvier 1871.  Il n’est pas le seul à mourir à cause du siège de Paris. La mortalité doublera durant cet hiver, les habitants étant emportés par la malnutrition ou les affections pulmonaires dues au froid. Les bombardements allemands marqueront la ville qui sera finalement libérée par l’armistice le 26 janvier. Mais en mars de la même année, la Commune de Paris est instaurée. En effet, suite à la guerre et le siège de Paris, les habitants se sont senti trahis par le gouvernement et le peuple est en colère, au bord de la révolution. C’est une période extrêmement tendue et violente, difficile pour la famille Doret. Il est aussi probable que le père de Philibert, comme la plupart des hommes de la ville, ai été enrôlé en 1870 dans la garde nationale, sorte d’armée civile et citoyenne. Les femmes sont également très présentes dans le conflit, se mettant en première ligne pour éviter que l’armée ne tire. C’est dans ce climat particulier fait de révoltes, de fusillades, de soulèvements populaires et de manifestations qu’est proclamée la Commune de Paris, suite à l’élection d’une majorité républicaine révolutionnaire. Cette période insurrectionnelle durera 72 jours. Pendant cette Commune, l’objectif sera de mettre en place un système politique républicain libre. De nombreux droits seront acquis et des règles établies à ce moment, notamment la séparation de l’Église et de l’État et la gratuité de l’école pour toutes et tous. La Commune se terminera par la semaine sanglante, durant laquelle l’armée de Versailles, celle du pays, abat les communards sur les barricades, faisant plusieurs dizaines de milliers de morts. De nombreux bâtiments sont également incendiés, entraînant la perte de la plupart des archives parisiennes. Mais cette semaine marquera la fin de la Commune de Paris. Petit à petit, la paix reviendra sur la ville et la République sera établie en 1875, quatre ans plus tard. François, Françoise et leur fils unique Philibert auront survécu à cette période et reprendront peu à peu une vie normale dans la capitale. Ils resteront vivre dans le troisième arrondissement de Paris, quittant leur appartement au 41 rue Beaubourg pour un autre à quelques dizaines de mètres seulement, au 17 rue du Grenier Saint-Lazare.

Plan du quartier de Paris où se trouve la rue du Grenier Saint-Lazare

Après les événements de la Commune de Paris, Philibert passera le reste de son enfance et de son adolescence dans le troisième arrondissement de Paris, proche des Halles, de la place de la République et du Palais du Louvre, en plein cœur de la capitale. En grandissant, il commencera à se former au même métier que son père, doreur sur métaux.

Son enfance fut marquée par la tristesse, la violence et de grands bouleversements. Il aura vu tous ces frères et soeur mourir très jeunes, aura connu la guerre et la Commune de Paris, aura parcouru des centaines de kilomètres pour quitter sa région natale et aura découvert Paris. Dans un prochain article, nous verront que la suite de sa vie ne sera pas tranquille non plus.

Découvre la suite de son histoire !

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