En balade touristique à Sainte-Eulalie d’Olt, j’ai rencontré au hasard d’une rue un certain Louis Mercadié, fils d’un tonnelier de la commune, amoureux de l’histoire de sa région et auteur. Il m’a raconté l’histoire de Marie Talabot, une enfant de la région devenue grande dame de la société, et dont le mausolée surplombe aujourd’hui la commune de Saint-Geniez d’Olt. J’ai donc voulu en savoir plus sur cette femme, qui fait d’ailleurs l’objet d’un livre éponyme écrit par Louis Mercadié.
Une histoire à deux revers
L’histoire de Marie Anne Savy, devenue par la suite Marie Talabot, à deux revers.
D’un côté, elle est vue comme une pauvre enfant de l’Aveyron qui a su s’extraire de sa condition par son travail et son ambition. Elle a vécu une belle histoire d’amour avec celui qui deviendra son amant puis son mari et lui offrit une belle place dans la société. Devenue riche et influente, elle tiendra salon à Paris et rencontrera les plus grands de l’époque, tout en faisant de généreux dons aux bonnes oeuvres, notamment à l’hospice et l’orphelinat de son village natal, Saint-Geniez d’Olt.
Mais d’un autre côté, certains préfèrent la version plus sombre de l’histoire. C’est toujours l’histoire d’une pauvre enfant de l’Aveyron, mais qui deviendra intrigante, se servant de ses charmes pour prendre son futur époux dans ses filets et devenir riche. Les dons aux bonnes oeuvres de Saint-Geniez d’Olt ne seraient qu’un moyen d’afficher sa richesse et sa réussite aux yeux des habitants de son pays natal, qui la dénigraient pour avoir vécu avec un homme hors des liens du mariage.
Ayant eu connaissance de ces deux versions de l’histoire, j’ai voulu en savoir plus sur cette femme mystérieuse dont la vie a été très interessante. Je me suis donc penchée sur les archives la concernant pour tenter d’en savoir un peu plus sur elle, sans à-priori sur son histoire.
Une enfance mouvementée dans l’Aveyron
Marie Anne Savy (ou Saby) voit le jour le 15 décembre 1822 au domicile de ses parents à Saint-Geniez d’Olt. C’est son père qui déclare sa naissance trois jours plus tard. Au moment de sa naissance, ces parents sont de jeunes mariés mais sont déjà âgés. Antoine Savy est un tisserand d’une soixantaine d’années, déjà père de plusieurs grands enfants nés de son premier mariage dans les années 1780. Avant d’épouser la mère de Marie Anne Savy, il s’est en effet marié trois fois, en 1784, 1802 et 1812. Sa quatrième épouse se nomme Anne Chalier. Elle est originaire de Corrèze où elle est née en 1782. Le couple s’est unit à Saint-Geniez d’Olt en janvier 1822, douze mois avant la naissance de Marie Anne.

Malheureusement, la mère de Marie Anne décède prématurément. Elle s’éteint à l’âge de 45 ans, le 21 octobre 1827. La jeune Marie-Anne n’a pas encore cinq ans.
Les archives en ligne ne me permettent pas d’en savoir plus sur l’enfance de Marie Anne, mais plusieurs sources disent qu’elle sera placée à l’orphelinat, son père âgé ne pouvant probablement pas s’occuper d’une jeune enfant.

Un nouveau départ sur la Côte d’Azur
Là encore, aucune ressource en ligne ne me permet de valider cette partie de la vie de Marie Anne. Il semblerait qu’elle soit envoyée travailler comme domestique à Marseilles dès 1837, à l’âge de 15 ans. En effet, les orphelinats plaçaient le plus souvent les enfants comme apprentis ou domestiques à leur adolescence. C’est surement ce qu’il s’est passé pour Marie Anne Savy.
En travaillant pour une famille de notables marseillais, elle fait la connaissance de Paulin Talabot, un ingénieur polytechnicien, banquier, homme d’affaires, homme politique et personnalité du monde ferroviaire. Il deviendra d’ailleurs dirigeant de la société ferroviaire PLM de 1862 à 1882, participera à la fondation de grandes banques comme la Société Générale et sera aussi député et président du conseil départemental du Gard dans les années 1860.

Paulin Talabot est plus âgé que Marie Anne Savy puisqu’ils ont vingt-trois d’écart. Mais il deviendront amants et vivront ensemble plusieurs années sans être mariés.
Une vie mondaine jusqu’à Paris
C’est le 11 novembre 1857 à Paris que le couple se marie, officialisant leur relation. Marie Anne Savy devient alors Madame Marie Talabot. Le couple partagera sa vie entre Paris et Marseille, dans leur château du Roucas blanc, construit en 1860.

La légende raconte que Marie tiendra salon et recevra les grands du monde de l’époque: Napoléon III, Haussmann, Gambetta, Delacroix, Cézanne, Ingres, de Lesseps, Eiffel… Je n’ai cependant pas retrouvé trace de cette vie mondaine dans les journaux de l’époque. Mais au regard de sa place dans la société et la classe sociale du couple, cela est tout à fait plausible.
La seule mention que je trouve dans la presse est dans Le Petit Journal du 6 juin 1874, où Mme Talabot, née Maris Savy, est cité dans la « Chronique du bien ». Il est venté le caractère de la femme chrétienne et française, sa vertu, son dévouement et son infatigable activité dans le bien. En effet, l’histoire raconte que Marie Talabot était généreuse avec les bonnes oeuvres et qu’elle était devenue la bienfaitrice de son village natal, Saint-Geniez d’Olt, versant d’importantes sommes à l’hospice et l’orphelinat de la ville, là où elle avait passé une partie de son enfance.

La fin de sa vie
Marie Talabot devient veuve en 1885, son époux s’éteignant au domicile conjugal du 10 rue Volney à Paris. Marie a alors 62 ans.
Mais Marie ne survivra pas longtemps à son défunt époux. Elle tombe en effet malade en 1889. La légende raconte que c’est lors de l’inauguration de la tour Eiffel qu’elle attrapera une pneumonie qui lui sera fatale quelques mois plus tard, Elle meurt en effet le 25 novembre 1889 à Marseille, au château du Roucas Blanc.

J’ai voulu vérifier la véracité de cette histoire de pneumonie grâce à la presse ancienne, mais je n’ai trouvé que des articles parlant des ventes des biens de Marie, qu’elle avait en grande partie obtenus lors de la succession de son époux.
Ainsi, plusieurs journaux régionaux, Le Sémaphore de Marseille et Le Petit Provençal, annoncent la vente aux enchères publiques, le 11 juin 1890, de deux maisons situées au 15 cours du Chapitre et au n°12 de la rue du Coq. La mise à prix sera de 400 000 francs.
Du côté des répertoires des formalités hypothécaires du bureau de Marseille, j’apprends simplement que Marie Savy avait fait trois acquisitions pour des sommes assez élevées. La première, en janvier 1857, était de 89 000 francs, en 1860, la seconde acquisition s’élevait à 55 000 francs et la dernière, retranscrite en 1892 alors qu’elle est déjà décédée, se monte à 40 000 francs.
Le mausolée Marie Talabot
Aujourd’hui, Marie Talabot surplombe son village natal de la vallée du Lot du haut de son impressionnant mausolée qui s’élève à l’emplacement de l’ancien château féodal. Ce mausolée fait l’objet d’une légende dans la région. Marie Talabot était en effet vue par beaucoup comme une parvenue. Elle aurait dit à ceux qui la rejetaient et lui reprochaient sa vie: « Puisque vous m’abaissez de mon vivant, je vous dominerai après ma mort ». Et bien on peut dire qu’elle a réussit !

C’est dans son testament, rédigé en 1886, qu’elle prend les dispositions nécessaires quant à sa succession et son inhumation. Je n’ai pu retrouver ce testament mais le livre de Louis Mercadié en retranscrit une partie, notamment celle décrivant la sépulture qu’elle veut faire édifier pour abriter son cercueil. À l’origine, le monument funéraire devait prendre place dans le cimetière de la ville, un peu en retrait de son emplacement actuel. Mai le neveu de Marie Talabot aurait négocié avec la municipalité de Saint-Geniez d’Olt pour faire ériger le monument à l’emplacement de l’ancien château, ce qui lui fut accordé.
Quelle version de l’histoire ?
Alors au final, quelle est la vraie version de l’histoire de Marie Anne Savy, devenue Marie Talabot ?
Je ne pense pas que son histoire fut toute noire ou toute rose. Marie reste une enfant qui a traversé de grands bouleversements dans sa vie et qui a su, quoi qu’en pense les gens, s’extraire de sa condition et s’élever dans la société du XIXè siècle. Peut être n’a t-elle pas vécu une grande et belle histoire d’amour avec Paulin, peut être a t-elle juste vu en cet homme l’opportunité de s’en sortir, peut être a t-elle joué de ses charmes ou peut être sont-ils réellement tombés amoureux. Et peut importe le pourquoi des dons que Marie a fait aux bonnes oeuvres. Même si c’était pour afficher sa réussite, l’essentiel est qu’elle ai fait ces dons qui on probablement aidés des enfants qui sont, comme elle, passés par l’orphelinat de Saint-Geniez non ? En tout cas, l’un des articles que j’ai pu trouver vente les mérites et la charité de cette femme.
Aujourd’hui Marie surplombe la commune de Saint-Geniez du haut de son mausolée. Et je trouve ça interessant de mettre en lumière cette femme de la région à l’histoire particulière.
Et vous, connaissiez-vous l’histoire de Marie Talabot ? Et qu’en pensez vous ?
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