Un descendant de vignerons
Antoine Daage est le descendant de plusieurs générations de vignerons originaires du village de Montreuil-aux-lions, dans l’Aisne. Ce village à quelques kilomètres au nord de la Marne se compose de nombreux hameaux et d’un bourg concentré au sud d’une grande rue en pente.

La famille Daage a longtemps travaillé dans les vignes, depuis des générations. Ses parents, Martin Daage et Marie Bailleux, se marient dans l’église Saint-Martin le 27 novembre 1759.Ils auront très vite un premier fils appelé Martin, comme ses ancêtres avant lui. Suivent ensuite deux enfants qui décéderont en bas âge, Marie Angélique et Jean Baptiste. Le 13 janvier 1765, c’est le petit Antoine qui vient au monde, puis six autres enfants qui mourront tous après seulement quelques jours, mois ou années de vie. Antoine grandit donc avec son frère aîné Martin puisqu’ils sont les deux seuls enfants du couple à échapper aux dangers de l’enfance. Tous deux travailleront rapidement dans les vignes, aidant leurs parents, mais ils auront aussi la chance de fréquenter l’école du village. Le curé de l’église Saint-Martin fait en effet la classe aux enfants du village durant la journée, leur apprenant l’écriture, la lecture, le latin et le plain chant, tout en dispensant des cours de catéchisme. Cet apprentissage permettra à Antoine de voir plus loin que le métier de vigneron, lui ouvrant une autre voie, celle de la transmission, de l’apprentissage.

Antoine devient clerc paroissial
Le bon niveau scolaire des enfants de Montreuil-aux-lions permettra à Antoine, bon élève, de choisir une orientation différente de ses ancêtres. Adieu le travail des vignes, Antoine devient clerc paroissial à l’adolescence. Cet emploi consiste à assister le curé dans les aspects pratiques de la gestion de l’église et dans l’enseignement des enfants. C’est donc Antoine qui instruit maintenant les enfants du village et tient à jour les comptes de l’église. Vers ses dix-huit ans, il quitte son village natal pour se rendre à Moret-sur-Loing à une centaine de kilomètres au sud. Il est probable qu’il se soit rendu là-bas pour rejoindre Jean Daage, son oncle, qui y est établi et qui est le tuteur d’une jeune fille. Antoine tombera amoureux de la jeune Marie Josèphe Lecocq, pupille de son oncle, et les deux jeunes gens se marieront rapidement car la jeune fille est enceinte. Ils rentrent ensemble à Montreuil-aux-lions pour s’y marier, le 23 novembre 1784, dans l’église Saint-Martin qui a déjà vu des dizaines de mariages de la famille Daage.

Une petite Marie Anne naîtra le 18 avril 1785, quatre mois et demi plus tard. La petite fille est placée chez ses grands-parents paternels car Antoine s’est vu confier le poste de clerc paroissial à Luzancy, un village plus au sud.
La vie à Luzancy
C’est donc à Luzancy, village deux fois plus petit que Montreuil-aux-lions, que Antoine s’installe avec sa jeune épouse Marie.

Son travail de clerc paroissial consiste essentiellement dans l’éducation des enfants de la paroisse. L’instruction étant très liée à la religion à l’époque, il enseigne à ses élèves le plain chant en plus des traditionnelles leçons d’écriture, de lecture, de calcul et de latin. Mais en juillet 1786, le malheur les frappe puisque la petite Marie Anne, alors âgée de 14 mois, décède chez ses grand-parents. Le couple rentrera à Montreuil-aux-lions le temps d’enterrer l’enfant puis retourne à sa vie à Luzancy. Et quelques mois plus tard, Marie tombe enceinte de nouveau. Elle accouche l’année suivant, le 26 août 1787, d’un petit garçon qu’ils appelleront Alexis Nicolas. La vie dans la campagne continue mais n’est plus si paisible. On sent monter la révolte paysanne due notamment à la pauvreté apportée par les années de mauvaises récoltes et de disettes. La révolution approche puis éclate en 1789. La France connait son plus grand changement politique, devenant une république, dans un climat de violence et de heurts à la capitale mais aussi en campagne. Heureusement pour la famille Daage, le salaire de clerc paroissial leur épargne la pauvreté, leur permettant de vivre dignement. En 1792, la République est proclamée et cette même année, Antoine et Marie accueille une petite fille, Marie Françoise, qui naît à leur domicile le 21 mars. La tension reste vive dans tout le pays, marqué par les guerres de la Révolution et le régime de la terreur. Un nouveau malheur survient pour Antoine: sa femme meurt à son domicile dans la nuit du 11 mars 1795.
Antoine devient instituteur et se remarie
La révolution a aussi beaucoup changé les choses pour Antoine, dont le métier évolue. L’instruction est devenue laïque et ne se fait plus à l’église mais à l’école, par des instituteurs. Antoine, ancien clerc paroissial, est donc naturellement nommé instituteur de la commune. Mais après le décès de sa femme, il veut changer d’environnement, quittant Luzancy pour la commune de Cocherel située à quelques kilomètres en aval de la Marne. Peu de temps après la mort de Marie, il se remarie avec une jeune veuve de Montreuil-aux-lions, Marie Thérèse Renoult. Ils passent quelques années à Cocherel où naissent leurs deux premiers enfants. D’abord Marie Thérèse Rosalie en 1796, puis Agathe Joséphine l’année suivante. L’année 1797 est l’occasion d’un nouveau déménagement. Antoine est propriétaire du bâtiment de l’école de Varreddes, une commune proche de Meaux, de plus grande importance. Il avait en effet acheté le bâtiment en 1793 à la suite de la vente des biens de l’église. Il décide donc de s’y installer après le départ de l’instituteur précédent.

Au début des années 1800, la ville voit se construire le canal de l’Ourcq qui contournera la commune, l’entourant sur trois côtés. La ville se compose d’habitations couvertes de tuiles ainsi que des bâtiments de culture en chaume, des granges et des hangars qui disparaîtront progressivement. La grande rue compte des petits commerces comme des bouchers, charcutiers, boulangers, épiciers, aubergistes et sabotiers. C’est une ville rurale vivant principalement de la petite culture de la vigne et du chanvre ainsi que de divers légumes comme des carottes, des pommes de terres, des panais ou des betteraves. La production de fromage de Brie est également l’un des moteurs de l’économie locale. La culture du vin, du fromage et des légumes fonctionne bien grâce à la proximité de Meaux où de nombreux marchés ont lieux comme la foire de Meaux qui attire les acheteurs de filasse de chanvre de Varreddes, dont la qualité est reconnue. Antoine et sa famille s’installe au cœur du bourg dans l’école qui jouxte le cimetière, à côté de l’église.

Le bâtiment se compose d’une salle de classe, grande pièce de cinquante mètres carré, dépourvue de carrelage et percée de quatre fenêtres à guillotines. Deux autres pièces servent de logement à l’instituteur et à sa famille. La première pièce sert de cuisine, de salle à manger et de chambre. Une seconde pièce, en enfilade, sert de chambre pour les enfants.

C’est donc là que la famille Daage passera de longues années. Antoine exerce comme instituteur mais tient aussi les fonctions de clerc paroissial, de greffier, d’officier municipal et d’arpenteur, tout en distribuant l’eau bénite pour la messe dominicale. Certaines fonctions publiques ne sont pas rémunérées, comme celles de greffier, d’officier municipal et de membre du conseil. Son salaire d’instituteur est composé de la rétribution scolaire et des revenus rapportés par la mise en place de cours du soir pour adultes pendant l’hiver. À cela s’ajoutent les revenus de clerc paroissial et d’arpenteur, même s’ils sont faibles. Enfin, la distribution de l’eau bénite pendant la messe est payée en nature: les villageois lui offrent du pain, permettant de nourrir sa famille. Au total, le salaire annuel peut s’élever à 600 francs. Cela équivaut à 2 à 4 fois le salaire annuel d’un journalier et est un peu plus élevé que le salaire d’un domestique en ville.
La fin de vie d’Antoine
En s’installant à Varreddes, Antoine investit dans l’achat de nombreux terrains, principalement des terres labourables mais aussi quelques vignes, prés et bois, ainsi qu’un bâtiment, un jardin et un verger. Il sera propriétaire de 99 parcelles cadastrales sur la commune, qu’il loue à des cultivateurs notamment, afin d’augmenter ses revenus. Varreddes est devenu son village, il passera trente-cinq années à enseigner aux enfants de la commune, les voyant grandir et fonder un foyer à leur tour, ou quitter la région pour tenter leur chance ailleurs. Antoine, appelé «monsieur le maître» par tous les villageois, est donc très estimé et respecté par tous les habitants. C’est lui qui a permis d’améliorer l’instruction dans la commune puisqu’à son arrivée en 1796, il met en place des cours du soir pour les garçons et les hommes pendant l’hiver. En effet, les enfants de Varreddes, les garçons surtout, ont toujours été retirés de l’école très jeunes pour vaquer aux travaux des champs. Pendant les longues soirées de l’hiver, le maître reunissait donc une vingtaine d’élèves, quelquefois plus, et leur faisait la classe de 6h à 9h du soir, moyennant 20 sols par mois. Le cours a toujours existé depuis. Trente ans plus tard, Antoine est toujours l’instituteur du village mais son petit-fils Jules Alphonse, âgé de 16 ans, est déjà formé à devenir son successeur. Mais cela arrivera un peu plus tôt que prévu puisque Antoine s’éteint le 4 avril 1832, à l’âge de 67 ans. Il meurt dans sa maison située derrière l’église, qui a longtemps fait office d’école mais qui est devenue uniquement son domicile avec la construction d’une nouvelle école, proche de la mairie. C’est donc dans ce bâtiment où il a passé les trente dernières années qu’il ferme les yeux une dernière fois, sa femme à ses côtés. Ses deux fils déclareront son décès à la mairie le jour même.

Il laisse à son fils et ses filles un bel héritage comptant notamment les nombreuses terres dont il est propriétaire, qui sont réparties entre les enfants en 1833 lors de sa succession. Son petit fils Jules Alphonse Daage, le fils aîné d’Alexis Nicolas, prend la relève à son décès alors qu’il n’est âgé que de seize ans.
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